" Ils flottent, reprit le clown. En bas, nous flottons tous. […] Viens flotter avec nous. "

Derry, 20 janvier 2010,

Une neige épaisse. Une extrême froideur. Mais lui n’avait pas froid. Lui n’était plus rien. Il traversa la route de son pas léger, glacial. Ses yeux se braquèrent sur quelques passants, ses  pupilles d’un vert morne ne firent qu’une bouchée d’un monde déformé. Derry était une petite bourgade du Maine assez traditionnelle. Rien ne s’y passait vraiment à première vue.
Winston pressa le pas, il était en retard pour manger. Que dirait Kelly s’il n’était pas là. Elle pousserait certainement quelques cris en s’inquiétant et en alarmant le petit quartier résidentiel où ils vivaient depuis des années maintenant. Douze ans exactement. Il passa devant une immense bâtisse aux murs crasseux. On y racontait qu’une fois, un homme y était mort de façon tellement violente qu’on ne s’y rendait plus. Winston n’en savait rien et pour cause, Winston n’avait qu’une idée en tête, manger.
Il n’était plus le même. Il ne se souvenait plus du changement qui s’était opéré en lui, comme si lui, pauvre chat de son état avait une mémoire. Ce qu’il savait en revanche, c’est que si Kelly criait encore une fois, il lui sauterait à la gorge sans aucune hésitation. Il s’occuperait de ses os avec grand plaisir. Ils devaient avoir le même goût rance que la transpiration lui donnait lorsqu’elle s’offrait à Garry son imbécile de mari. Ils avaient un fils, un petit être qui malgré ses sept ans et demi avaient parfaitement compris Winston, oh oui, ils revenaient de loin tous les deux. Ils revenaient du Simetierre et ils n’étaient pas contents, pas contents du tout.



Derry, 15 mars 2012,
                                                                   Shérif, fais-moi peur, blog d’informations.

« Un clown tueur ou une hallucination collective ? » par Andrew Paterson.
               

              Derry est la proie de phénomènes de plus en plus étranges ces derniers temps. Alors que deux ans auparavant, un couple fut dézingué par leur gosse et leur chat (l’un est maintenant en maison d’accueil et l’autre est mort, devinez lequel est où !) et qu’on avait retrouvé les deux acolytes en train de dévorer les os des pauvres parents, cette fois, c’est une histoire complètement différente qui nous intéresse.
               Hier soir avait lieu dans le quartier près du pont, une célèbre fête foraine, la fête du Maïs qui tous les ans revient pour notre plus grand malheur. Chaque année, des gens disparaissent à cette époque et d’autres parlent. A chaque disparition, l’accusation va à un clown burlesque. Le genre de pervers qui pourrait apparaitre dans un des romans de Stephen King. Si jamais il tombe sur ce blog, il aura peut-être envie d’écrire sur ça…  Nous n’avons eu aucune information de la police qui a refusé nos demandes d’interviews. Le shérif a cependant confié à la presse conventionnelle que Andrew O’Brien serait déféré devant le juge de Bangor pour homicide volontaire. Rappelons les faits avec rapidité : Steven Martin a été aperçu en la galante compagnie d’O’Brien pour la dernière fois, cinq minutes plus tard, son corps sans vie était en train de flotter dans le cours d’eau. Nos demandes d’interviews ont bien entendu été refusées sans explications.
Nous restons dans l’attente de nouvelles informations pour je suis sûr enfin éclairer vos lanternes. A Derry, il se passe des choses pas claires et c’est à nous de le découvrir.
Votre serviteur.



Derry, 03 février 2013,

« Le Derry Motel se cherche un gardien pour l’année. » C’était l’annonce qu’il attendait. Seul à son bureau,  Max fumait une cigarette, une mentholée dont il abusait depuis des années.  Bien que Catherine,  sa femme, le sommait d’arrêter depuis plus de dix-sept ans, il n’en avait jamais eu le courage. Il n’avait aucune autre volonté que celle de boire jusqu’à plus soif et de fumer jusqu’à noyer ses poumons sous de sombres assauts de nicotine.      
Cependant voilà, sa jolie femme lui avait posé un ultimatum. Ca s’était passé la veille au soir dans la petite cuisine de leur maison miteuse de Washington. « Sois tu trouves un boulot, sois je me barre avec les gosses et je te laisse fumer ta merde sans nous. » Il avait décidé de changer. Pas question qu’il arrête de fumer, oh ça non, et pas question qu’ils se passent de ses gosses. Ils avaient trop de choses à garder secrètes, des choses que papa faisait quand il était alcoolisé.
Qu’ils partent aurait été fâcheux. Qu’ils s’ouvrent au monde encore plus. Et s’enfermer dans un hôtel de bord de route toute l’année serait quelque chose de vraiment parfait pour eux et surtout pour lui. Il n’avait pas prévu que ses démons viennent le ronger et pourtant, l’an prochain, le même jour, il serait mort après avoir abattu sa famille entière…

                              « A Derry où la vie est si tranquille
                              Ô petit ruisseau, ô petite ville  
                              Sur toi, la main de Satan
                              Que soufflent la mort et le vent
                              Démons ou esprits
                              Que vienne votre vie    
                              Et qu’en vos voix
                              Vienne le trépas. »