La ventilation avait cet effet amusant sur moi. Elle me berçait et agissait sur mes gestes saccadés pour tenter de chasser toute l’eau encore présente sur mon épiderme. La douche du soir était celle que je préférais. Elle était l’annonciatrice des jeux avant l’histoire pour me coucher dans mon grand lit aux imprimés de mes héros fétiches. Je sautais dans mon pyjama Batman et de son fidèle acolyte Robin. Dressé sur mes deux pieds face au lavabo je scrutais mon reflet. Sur la pointe des pieds, mes doigts d’enfant arpentaient mon visage à la recherche de poils, même microscopiques. L’adolescence était encore loin et pourtant je rêvais de posséder ce saint graal. Depuis qu’Andrew s’exhibait partout en affirmant qu’il était un homme à présent. Je le maudissais un instant avant d’entendre ce long sifflement qui s’échappa du fond du lavabo. Je tendis l’oreille et entendit cette musique de fête foraine. C’était gai et me poussait même à sourire. Je me demandais d’où ce bruit pouvait provenir. Et, plus j’approchais mon oreille et plus j’avais l’impression d’entendre une voix. Elle, si fluette se mit à grandir. Maintenant, collé au métal froid et humide, je l’entendis m’appeler par mon prénom. « Liam, viens jouer avec nous. On s’amuse bien. Viens. » La voix d’enfant était toujours aussi agréable. Un chant. Une invitation qui du haut de mes dix-ans n’avait rien d’effrayant. Je gloussais à chaque nouvelle appellation de mon nom. « Viens, flotter avec nous. » Quelque chose mordit mon jeune esprit. Les contours de la voix avaient changés et elle continua à se transformer. Je me reculais. L’enfer semblait s’échapper à présent des tuyaux comme si quelque chose essayait de s’y faufiler. Mon visage vira au blanc émail du lavabo. Une voix aigre continuait de m’interpeller, mais je ne voulais plus l’écouter. Mes mains couvraient mes oreilles, cependant n’arrêtait ce son d’outre-tombe. « Approche où je te bouffe la nouille qui te sert à pisser. Tu crois que je sais pas ce que tu fais le soir dans ton lit avec , petit pervers !! Oui. Oui. Je vais en faire de la chaire à saucisse. Tu m’as bien entendu sale mioche ! Mastiqué et recraché ! Aahaha ! » Je m’agenouillais au sol, pressant de plus en plus fort mes oreilles quand un liquide grenat se mit à jaillir et repeindre chaque centimètre du carrelage lavé du matin. Moi-même, j’en fus recouvert. Un goût de ferraille et de rouille s’enfonça dans les prémices de ma bouche. Je recrachais avec dégout avant de m’enfuir en courant. Ce fut mon premier souvenir de « lui » !

« Elle a toujours été ainsi ? » me demanda la jeune auxiliaire de vie. Une nouvelle à qui je devais tout expliquer à nouveau. Je poussais un soupir de fatigue et de lassitude. Pourtant, comme chaque matin, je prenais la brosse sur sa commode et prenais le temps de peigner ses cheveux. Je me souvenais d'eux encore d'un blond aussi brillant qu'un été. Ils étaient à présent, poivre et sel, malgré les teintures répétitives. « Non, cela fait juste cinq ans qu'elle ne parle plus, qu'elle ne s'alimente plus et qu'elle ne bouge plus.» répondis-je tout en abandonnant ses cheveux pour offrir la seule chose qu'elle pouvait manger maintenant. Une bouillie d'aliments qu'elle ingurgitait à l'aide d'une paille. Le bruit de succion avait toujours le même effet répulsif. Je frissonnais de dégout avant de me rappeler que c'était ma mère, que tout cela était mon rôle de fils. Mon père était parti quand j'avais cinq ans. Il n'y avait eu que nous deux pendant des années. Je scrutais les gestes de l'auxiliaire de vie pour ne pas à avoir à repasser derrière elle. « Après, l'avoir nourrie, vous pourrez la laver. La salle de bain a été aménagée pour elle. par contre, n'utilisez jamais la salle du premier étage.» Je sentais déjà dans son regard poindre le pourquoi. « C'est là-bas qu'on l'a retrouvée après son accident. Déjà, si vous vous approchez. Elle se mettra à hurler. » C'est assez spectaculaire ! Je m'agenouillais pour essuyer sa bouche avec une serviette. Son regard était vide. Mais, qu'avait-elle vue pour la mettre dans un état pareil ? Les médecins avaient parlés d'AVC. Je n'y croyais pas. Je l'embrassais sur la joue. Je savais que l'horreur qui s'était imprimé sur la rétine de ses yeux l'avait transformé pour le restant de sa vie. « Je vais ouvrir la station. Vous avez mon numéro. Je repasserais à ma pause déjeuner déjà. Et, si, il y a le moindre soucis, n'hésitez pas à m'appeler. N'importe lequel ! » L'auxiliaire de vie m'offrit ce sourire de courtoisie. Elle semblait gentille, c'était déjà ça. « Allez travailler, Monsieur Winchester. Je m'occuperais très bien de votre mère. Tout se passera très bien.» Gentille, mais totalement sotte ! Il allait venir pour elle. Il allait venir pour chacun d'entre nous, un par un... 

Je poussais la porte du commissariat. Je me jetais dans les bras d'Andrew. Mon cœur au bord des lèvres. Palpitant et déchaîné. « Andrew ! Aide-moi !» Mes mains maculés de sang agrippèrent sa chemise et firent tomber son insigne. L'étoile de la justice aveugle se noya dans ce flot de sang qui s'écoulait de chaque côté de mes coudes. J'étais terrorisé. Apeuré et un million d'autres sentiments qui se télescopaient en moi en même temps. Andrew chercha une blessure sur mon corps. Il ne trouverait rien. Ce n'était pas mon sang. Il me porta et comme un enfant j'allais enfouir ma tête dans le creux de sa nuque. Son parfum âpre et légèrement citronné me calma aussitôt. J'étais bien et pendant un instant j'ai fermé les yeux pour ne les ouvrir qu'une heure plus tard. J'étais emmitouflé dans une couverture, un café brûlant entre les mains. Andrew était à côté de moi et continuait à chercher des réponses alors que sa main chassait les cheveux qui collaient à mon front. « Je sais pas...Je sais pas à qui est ce sang...J'ai fermé la station comme d'habitude...Et, c'est comme si j'ai perdu connaissance. Je me suis retrouvé dans ce parking baignant dans ce sang...» Suite à mes indications, il avait envoyé un adjoint sur les lieux de mon « accident » Mais, aucune trace de sang, d'attaque ou même d'un cadavre. Est-ce que j'étais entrain de devenir fou ? Est-ce c'est ce qu'« il » voulait ? Andrew passa encore une main dans mes cheveux et accusa l'alcool ou une mauvaise blague. Il allait me ramener et pendant un instant, je fus heureux que cela soit lui. Mais, soudain ce poids retomba sur mes entrailles. J'avais fait quelque chose d'horrible, je le savais au plus profond de moi. Je le savais et j'allais recommencé...Oh ! Mon dieu ! Sauve moi !